Aujourd’hui la mer est encore très forte au delà de la barrière et le ciel roule d’épais nuages gris au travers desquels perce quand même l’implacable lumière équatoriale… Les nuées s’évaporent, se reforment, s’effilochent dans le vent puissant et fantasque, dégénèrent en grains d’un instant, font naître d’improbables arc-en ciel. Je saisis même dans une éclaircie subite cette rare vision d’un arc en ciel en formation. La mer s’enflamme des couleurs du spectre qui l’instant d’après disparaît. Un rêve. Se pourrait-il que cet arc ait coulé dans l’eau sombre, teignant au passage les poissons du récif à son image ?
Mais aujourd’hui, les couleurs criardes des habitants du corail ne sont pas au programme. C’est dans un monde de pastels que nous allons saupoudrer nos bulles. Jacky a choisi de me faire visiter la passe St François, l’un des deux accès au large de cette partie de la côte. L’eau est très chargée, dans les tons bleu-vert, agitée à distance par la houle du large. Une ambiance feutrée, confidentielle… Le fond de la passe est à 30 mètres, et le plancher de sable défile. La marée montante s’engouffre dans la passe pour emplir le lagon et pourtant le courant nous entraîne dans l’autre sens, vers le large. La cause en est la conformation particulière du lagon de Rodrigues, très peu profond au point qu’on rencontre souvent des pêcheurs à pied, penchés sur leur pique et la promesse de poulpes, en pleine mer ! Les vagues fortes débordant la barrière apportent sans cesse de l’eau sur ce platier qui se vide alors par les passes, un courant prenant le pas sur celui de la marée.
Nous glissons dans le coton aquatique, dans ce « Boulevard Poissonnière » rodriguais, tant la faune est dense. Bancs de licornes, ces chirurgiens cuivrés munis d’une pointe au dessus des yeux, perroquets pressés la bouche encore pleine de corail, diodons flottant dans l’air bleu comme des dirigeables à épines. Jacky m’a assuré qu’en saison, des tortues viennent faire ici quelques brasses. Et que les barracudas et les thons ne sont pas rares…
Mais nous sommes venus pour les carangues « gros yeux » qui fréquentent la passe en bancs de plusieurs centaines d’individus et dont voici un petit aperçu filmé précédemment par un des clients de Jacky.
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Je les aperçois enfin, en plein dans une zone de turbulence, à la limite de visibilité. Un mur épais d’armures argentées, presque immobiles dans le vent aquatique. Mais qui se dispersent pour se reformer plus loin si l’on approche trop de leur « bulle ». Pour les besoins de la photo, Jacky fait des kilomètres à contre courant pour se placer dans le champ. J’apprécie ses efforts mais je sens bien que la visibilité réduite ne nous permettra pas de miracles aujourd’hui. Grande est la tentation d’abandonner l’image et de se laisser dériver au sein du banc, de faire corps avec lui.
Mais ces diables de poissons qui se maintiennent sans effort dans une trouée de lumière ne me révèlent pas leur secret : Au milieu de ces courants contraires, je ne suis qu’une poupée de chiffon et contraint de me réfugier sur un balcon de corail ou l’eau presque calme m’offre un répit temporaire. J’aime particulièrement le point de vue et cette image. Elle est « ratée » au sens ou elle serait difficilement publiable « sur papier », trop éloignée des canons habituels de la photo sous-marine. L’eau est chargée, les lointains indistincts. Mais justement, c’est une photo d’atmosphère qui traduit l’exacte sensation éprouvée à ce moment. Plongeur noyé dans la brume aquatique, dans le sillage d’un banc de carangues indifférentes, vues depuis les encorbellements de coraux, dans une lucarne festonnée de calcaire vivant aux couleurs inhabituelles. Une plongée en bleu et pourpre… Mais déjà le courant nous reprend et nous malmène dans un canyon dont l’issue bleue nous rappelle l’existence du jour…
Des orphies au regard doré, à la pupille de bronze et au corps presque transparent rehaussé de bijoux de jade croisent par centaines, tordant leurs corps d’épées dans le ciel d’eau. Mais, si vous venez à Rodrigues (et je suis sûr que vous y viendrez !) il faudra parfois savoir oublier le plaisir immédiat de la faune « qui bouge », le trophée gratifiant du poisson rare, pour s’intéresser au décor, au corail pratiquement intact et dont la variété de formes et de couleurs surpasse tout ce que j’avais vu dans le genre. Oubliez un instant ces perroquets bigarrés qui battent des nageoires pour attirer votre attention, ces bancs de chirurgiens, de papillons qui n’en peuvent plus de couleurs, ces poissons trompette soufrés qui glissent d’avant en arrière comme des points d’exclamation…
Approchez vous plutôt des surplombs et ignorez résolument les bancs d’écureuils rouges et craintifs qui vous font les gros yeux : Le miracle est là, dans ces constructions coraliennes interpénétrées dont les couleurs pastels et communes lasseraient vite ailleurs qu’à Rodrigues. Mais ici, des pétards de couleur surgissent et révèlent tout un monde secret.
Tous les plongeurs savent que les couleurs chaudes disparaissent dès les premiers mètres, filtrées par le bleu de l’eau. Mais ici, il n’est pas rare d’observer des massifs rose, garance, rouge vermillon… A 30m de fond ! Ce qui veut dire que le corail émet sa propre lumière. Dans quel but ? Encore un mystère pour les scientifiques. On sait que ce type de corail produit aussi une lumière fluorescente quand il est éclairé en ultraviolet. Par contre, éclairé avec une lampe de plongée, ou au flash, il produit encore deux autres teintes, curieusement ternes. Une fois n’est pas coutume, il faut l’observer sans lampe pour profiter de ses couleurs vives !
C’est ainsi que sur les photos ci contre j’ai du rétablir a posteriori les couleurs « réelles » (merci Lightroom !), telles qu’on les voit en plongée. Citron et citron vert, turquoise, orange, rose ou violet, non, vous ne rêvez pas, vous n’êtes pas daltonien : Vous plongez à Rodrigues !
Les yeux perdus dans ces teintes d’autres mondes, nous achevons cette plongée commencée sous le signe de l’arc en ciel… Pour retrouver sur une plage déserte le même corail devenu pierre, mêlé aux scories basaltiques du volcan ancien à l’origine de l’île. Fusion minérale de cette roche venue du centre de la terre mariée au squelette du vivant qui n’aurait pu se développer sans cette matrice et ensemble voués à se changer en galets, en sable ; demain en falaises de grès ; en coquillages à inventer… D’autres paysages, d’autres aventures de la vie. Métempsychose à l’échelle d’une planète symbiotique aux équilibres si complexes, mystère des origines où la vie tient sans doute une place prépondérante.
A l’heure ou tant d’ignorants font commerce de « la fin des temps » et de l’urgence de « sauver la planète » en raisonnant à l’aune d’une génération humaine et pétris des certitudes anthropomorphiques de citadins bien nourris, il est bon devant la mer toujours recommencée de rêver en millions d’années. Poussières d’étoiles, oui, nous retournerons aussi à la poussière…
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C’est super beau, tu as dû voir de beaux paysages sous-marins.
Un grand et vrai moment de bonheur.
YES !!!!!!!
Stef
Merci. J’essaye de vous transmettre mon ressenti. Que vous voyagiez un peu avec moi… 8)
L’atmosphère de la passe St François… Observer flore et corail de la barrière, jouer avec son relief , approcher les carangues en jouant d’espiéglerie… et oui je le confirme : partager un moment avec les tortues… Que des magnifiques souvenirs et moments intenses offerts par Jacky ! Impossible de s’en lasser ! Fran6, très beaux articles sur Rodrigues dans ton blog . Ils révèlent à merveille la beauté extérieure et intérieure de Rodrigues. Je t’invite à y retourner en oct-nov et à plonger au coeur de la barrière pour découvrir la Basilique de Jacky . J’ai hâte de lire alors ton article…
Bonjour Brigitte et bienvenue ! Toujours un plaisir de découvrir de nouveaux lecteurs qui s’expriment 😀
Jacky… Un personnage n’est-ce pas ? Je lui consacre un article entier à paraître sur plongeur.com
Quand à la basilique j’y ai plongé avec lui au cours du même voyage ; en juin ; ça compte ? 😉 Et nous y avons fait des photos intéressantes. Article à paraître ici car je suis loin d’avoir terminé la « relation de mon voyage à Rodrigues » pour parler comme François Leguat 😆
splendide ta video ca me permet de plongee un peu et de rever et c est toujours un plaisir de voir ces poissons et cette tortue
Cool si plongée à la Basilique il y a eu ! Beau temps il y a eu aussi alors… Vivement tes nouveaux articles !
Et oui, fran6, bien d’accord Jacky est un personnage ! Il est aussi à la fois un sage, un passionné, un homme au grand coeur, un vrai professionnel,… J’espère pouvoir le revoir, sa famille et toute son équipe très bientôt.
C’est la vidéo d’un plongeur niçois que Jacky m’a passée. J’ai juste refais un peu de montage et de mixage…
Le récit de la basilique, pour bientôt ❗
Oui, ce genre de personne est précieuse et rare. Mais je ne sais pas comment je fais, partout où je vais je rencontre des aliens dans son genre
Encore merci à Jacky, Fifi et Loulou. Non, Camille ! 😆
Bonjour Francis, je suis un fan! De tes vidéos bien sur ,(j’ai tooute l
Superbe.
« Le corail émet sa propre lumière…à 30m de fond »…Je l’ai expérimenté, c’est si lumineux ! Mais bien néophyte, mes photos m’ont déçue 😉
Voyager avec vous, pourquoi pas….
Fan… Fanes de radis ? 😉
Si on veut traduire cette couleur « naturelle » il faut travailler à très forte sensibilité et en pose longue et donc utiliser un pied photo.
bonjour de l’ile d’yeu
dans l attente de tes reportages sur rodrigues
j ai eu la chance d’y plonger en octobre dernier avec jacky
moment inoubliable 😉
L’île d’Yeu : J’y ai plongé. Magnifique ! D’autres articles sur le voyage à Rodrigues vont être publiés bientôt !
C’est un régal de vous lire, je revois le brassage des bulles qui défient la gravité, la corde salvatrice qui nous empêche de quitter la passe et ces carangues peu farouches qui viennent se moquer de nous et nier la présence du fort courant.
Merci pour ces beaux récit on rêverait de porter vos palmes pour les étapes suivantes:roll:
Merci ! Mais avec moi les femmes ne portent rien. Elles me supportent, tout au plus 😆
Joliment dit